Je me suis
souvent demandé pourquoi j'étais fasciné par Chahut de Vassil. D'où
provient cette fascination ?
Certes la
maîtrise technique dont le sculpteur fait preuve pour aller toujours
plus loin dans la précision morphologique et dans la tenue mécanique
des pièces aériennes est présente, se ressent à travers une
représentation figurative très fidèle. Ici, les deux lionceaux ne
tiennent que sur un seul point d'appui au sol ! L'un des deux se trouve
donc presque en à pesanteur. Le profil du lionceau montre une tête
parfaitement en adéquation avec son très jeune âge et accentue le côté
" pataud ".
Au-delà, la pièce est caractéristique de
la démarche originale de Vassil. L'harmonie règne dans cette scène
animalière ; il n'y a aucune fausse note. Vassil, par l'étude du
comportement, choisit de mettre en scène un moment de vie très intense
qu'il parvient à nous faire partager.
La pièce
présente plusieurs lectures qui sont clairement orienté par l'artiste
lui-même. En premier lieu, je suis d'abord attiré par le mouvement
vertical des jeunes félins. Les muscles tétanisés par l'effort ludique,
les deux lionceaux se présentent l'un sur l'autre ce qui constitue une
position fort peu académique en art animalier et donc un point de vue
original. Puis mes yeux se posent naturellement sur leurs regards,
leurs rictus témoignant de l'intensité du chahut. J'entre alors dans
leur cercle de jeu, non plus comme un spectateur mais comme l'un des
acteurs. J'arrive alors au cœur de la pièce, non pas le cœur physique,
mais le cœur spirituel : l'un va-t-il prendre le dessus sur l'autre ?
Quel est le type de relation entre eux ? Quel est leur environnement ?
Sont-ils en danger avec leur insouciance du jeu ? Ainsi, je me promène
au centre de la pièce en focalisant sur les sujets, et je m'en éloigne
en imaginant le décor de la scène.
Mais la
fascination que me procure cette œuvre a une autre origine. Vassil a
réalisé plus qu'une simple description esthétique de deux lionceaux. Il
leur a donné une âme. Je perçois à travers les expressions leurs
caractères, leurs différences, leurs sensibilités. Ce sont devenus des
êtres si attachants qu'ils me sont familiers, qu'ils me renvoient à mon
vécu : le chahut de mes jeunes enfants, les jeux passés de rivalité
avec mon grand frère. Puis d'autres souvenirs encore plus " primitifs "
reviennent à la surface.
Finalement
la magie qui s'opère en admirant cette œuvre doit rester inexpliquée,
pour ne pas troubler ma relation avec elle. La sculpture m'attire vers
elle, me parle, me renvoie à ma propre existence, mes propres relations
aux autres. " Chahut " est une œuvre digne de ce nom et obéit
parfaitement à la fonction de l'art qui est selon moi : faire rêver.
D'ailleurs l'ensemble de tous ces éléments sciemment analysés est très
vite oublié en regardant la pièce. L'analyse s'efface devant l'émotion
ressentie.
C'est par
sa persévérance, sa remise en question permanente, et donc son humilité
et sa sincérité dans le travail, qu'il réussit après de nombreuses
années, des prouesses sculpturales telles que celles-ci.
M. LOUIS
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